Romane s’est endormie bercée par le mouvement balancier du dromadaire. Je la coince avec une jambe, une main accrochée à la selle, l’autre lui servant de repose-tête. Le lendemain, j’ai des courbatures et des douleurs au genou. Le vélo est finalement moins éprouvant ! Nous quittons les dunes et remontons sur nos engins en suivant la courbe et les méandres formés par l’oued Ziz. Nous nous arrêtons sous les palmiers dattiers, les oiseaux nous offrent un concert printanier et les amandiers fleurissants, un clin d’œil de blanc dans ce tableau bicolore que forme le ruban de palmiers verts dans le creux des montagnes ocres.
Nous empruntons la nationale, seule route existante, pour remonter vers le Nord du pays. Le trafic s’intensifie, le vent et les montées aussi, nous roulons têtes baissées, le paysage caillouteux et désertique lasse nos esprits. Nous cherchons un endroit attrayant pour les petites. Cela devient difficile. Mon genou couine, grince, coince. Je n’appuie plus que d’une jambe sur la pédale. On arrive à Er-Rachidia, la ville, les klaxons, les piétons, la pollution, tout est fait pour augmenter notre tension. On cherche une solution. Continuer dans ce désert cela devient trop long, il nous faut changer de région. Nous prenons un bus, nos bicyclettes et charrettes dans la soute. Nos pépettes bien heureuses de partager un petit bout de chemin avec une cinquantaine de marocains, sont toutes existées de cette nouvelle expérience.
Rachid nous accueille à Azrou. A 27 ans, il vit de petits boulots, de thé et d’amitié. Il a espoir d’améliorer sa situation et celle de sa famille, Inch Allah comme il dit. En attendant, il partage son temps avec ses amis au café le regard qui s’évade entre les tuiles vertes des toits de la ville et l’horizon vallonné des montagnes du Moyen-Atlas.
Après l’avoir quitté, nous visitons une forêt de cèdres, endroit idéal pour pique-niquer. Nous sortons nos gamelles et victuailles quand soudain, à peine le dos tourné, un voleur s’empare de notre pain. Noémie voulait tellement manger un sandwich de Vache qui rit et pleurniche : « Mais maman, fait quelque chose ! ». « Je ne peux rien faire ; tant pis, on se contentera de tomates, de pommes et d’oranges » lui répondis-je. Soudain tout un groupe d’individus nous encercle, prêts à saisir l’occasion pour s’emparer de notre butin. Noémie s’équipe d’un bâton, Romane prend peur, nous sommes tous aux aguets. Mais, le chef, bien plus costaud et impressionnant que les autres a eu raison de nous. Il nous dérobe un fruit et le dévore sous nos yeux ! Nous restons penauds au pied des arbres sous le regard moqueur des…singes.
La population a changé par rapport au sud du pays. Les gens semblent plus ouverts, plus spontanés. Le sourire des femmes est rassurant nous rappelant qu’elles existent car elles se faisaient tellement oublier dans le désert, déambulant telles des ombres dans les rues, sapées entièrement de noir et ne laissant à découvert que leurs yeux, parfois même qu’un seul œil ou aucun. Dans le Nord en ville, certaines femmes prennent le volant, d’autres, cheveux lâchés, sont véhiculées à l’arrière d’une mobylette.
Les fillettes dorment dans la remorque. Nous stoppons brièvement sur le bas côté pour admirer une vue panoramique sur la région. Un monsieur s’approche d’Arnaud interloqué par notre équipage. D’une voix forte, il le questionne sur notre voyage et en s’approchant de la remorque appelle les filles. Elles sursautent. Nous n’avons pas le temps de lui en vouloir de les avoir réveillées que déjà ils s’exclament : « Vous allez à Fès, n’est-ce pas ? Soyez les bienvenus à la maison. Tenez, mon numéro de téléphone et celui de ma femme. Appelez dès que vous arriverez dans la ville.» Puis, il remonte dans sa voiture, continuant son chemin.
Nous passerons 3 nuits chez lui et sa femme. Nos échanges furent riches, nous ne détaillerons pas tout ici.
Artisan fabriquant les mosaïques en céramique à Fès
Heureux de retrouver le silence et la nature après le brouhaha et les murs de la ville, nous grimpons fortement entre les oliviers pour quitter Fès.
Par ici, les ânes et les cheveux servent à parcourir les chemins montagneux. Les charrettes et les vélos ont disparu. Le ciel est gris, les premières gouttes de pluie tombent. Nous nous abritons près d’une maison. C’est là que nous passerons la nuit, accueilli par Aziza. Avec nos quelques mots d’arabes et ses quelques mots de français, nous communiquons, rions, partageons un excellent moment convivial. Assise sur sa peau de mouton dans sa maison en terre, Aziza coiffe les longs cheveux de ses filles joliment teintés à l’henné et les enduit ensuite d’huile. Nos filles y ont droit aussi ! Elles s’endorment ensuite dans la pièce bercées par de la musique marocaine. Au matin, alors que nous sommes en train d’empaqueter nos affaires, Aziza nous offre une bouteille d’huile d’olive fait maison. Elle nous mime sa demande. Je comprends que si nous revenons au Maroc, nous sommes invités à dormir à nouveau chez elle.
Aziza et Amina devant leur maison nous saluant pour notre départ
Le lendemain, nous saluons au bord de la route quatre jeunes filles à vélo. Elles nous réclament une pompe. Arnaud s’arrête. Elles nous remercient. Narjisse, 17 ans nous propose de venir dormir chez elle. Nous sommes abasourdis par une telle initiative. Ses lycéennes nous invitent ensuite à prendre un goûter dans un snack. On se régale de milk-shake à la fraise, yaourt et harcha (galette de semoule). Elles refusent que l’on paye. Après plusieurs appels sur leur téléphone portable, Narjisse nous explique : « Ok, vous venez avec moi, mais comme mes parents ne sont pas là ce soir, vous dormirez chez ma grand-mère, ça vous va ? ». Plus tard, nous rencontrons ses parents, discutons de la France, du Maroc, de la crise, de la sécheresse, des études, du problème des déchets, du développement du pays, de la corruption…Ils nous invitent ensuite à déjeuner chez eux le lendemain. Nos filles sont chouchoutées par les leurs. A table, Noémie demande : « Je peux prendre les doigts ? », « Mais oui, tu dois prendre tes doigts ! » répond Aïcha, la maman. Et nos mains s’entremêlent par-dessus les plats. Elle nous propose de rester encore, même plusieurs jours. Nous avons déjà l’impression d’être en famille avec eux. Nous nous enlaçons, j’ai les larmes aux yeux. Nos deux petites souillons rentrent dans leur carrosse transformées en Cendrillon, parées de colliers, rubans, coiffées de barrettes, elles se regardent dans le miroir rose offert par les deux adolescentes. Narjisse nous accompagne en vélo jusqu’à la sortie de la ville. Elle souhaite avoir son bac avec mention pour pouvoir faire médecine. En tout cas, je donnerai la mention très bien à la valeur humaine de cette jeune fille. Je laisse ensuite mes pensées m’envahir : si les rôles étaient inversés, y aurait-il en France, des lycéens capables d’inviter ainsi des étrangers de couleurs rencontrés au bord de la route? Et si oui, y aurait-il des parents suffisamment ouverts pour accepter cela et ne pas traiter leur enfant de fou ? En tout cas, si tous les jeunes d’aujourd’hui étaient des Narjisse, il n’y aurait pas d’inquiétude à avoir sur l’avenir et la paix dans le monde !
Aïcha, Noémie, Mina et Romane
Nous ne pouvons pas tout écrire sur ce blog, il y a encore mille et une chose que nous aimerions raconter comme la rencontre avec Nordine.
Cet homme à commencé à réprimander Arnaud parce qu’il emmenait sa femme et ses enfants sur des routes dégradées où il n’y a plus rien pendant une cinquantaine de kilomètres, seulement quelques paysans. Et, la tournure inédite que cette rencontre a générée.
La route est effectivement défoncée, trouée, caillouteuse. Nous avons davantage mal aux bras qu’aux jambes tellement il faut empoigner fortement le guidon. Le terrain montagneux du Rif ne nous laisse aucun répit. Nous gravissons une succession de cols sans même éprouver le soulagement des descentes qui s’avèrent scabreuses. Les amortisseurs de la remorque sont efficaces mais les filles ne dorment pas, elles jouent et rigolent bien à l’intérieur de leur cocon.
Le lendemain, c’est un vent déchainé que nous devons affronter. Malgré une route goudronnée, nous roulons à vitesse minimale. Il est parfois si violent qu’il nous projette sur le côté ou nous arrête dans notre élan. Il n’a d’agréable que les senteurs qu’il transporte. Tour à tour nous humectons la forte odeur de l’huile d’olive, le doux parfum des fleurs d’orangers. Malgré tous nos efforts, nous n’arriverons pas jusqu’à la ville. Nous lâchons les armes en haut d’une côte et plantons notre tente, après l’accord du propriétaire, dans l’enceinte d’une petite maison de campagne.
Il nous manquait un troisième jour pour compléter le palmarès des jours les plus difficiles ! Au réveil, nous comprenons à la couleur du ciel que le vent sera remplacé par la pluie. C’est ainsi que nous enchaînons encore des cols sous les averses et craignons pour les descentes de glisser sur la chaussée. Nos deux anges dorment profondément bien à l’abri et ne s’aperçoivent même pas qu’il pleut ! Les paupières s’ouvrent, la pluie cesse, Noémie s’exclame : « Oh, la route est vraiment penchée ! Faut faire attention maman de ne pas reculer ! » Elle est effectivement parfois si pentue que même les camionnettes chargées de marchandises pour le souk ont du mal à monter, nous projetant en pleine figure une bonne bouffée de gaz noirâtre. Les dattes et figues séchées sont digérées, Chefchaouen se dévoile, accolée à la montagne. Nous sommes soulagés. Un petit restau pour se revigorer, un tour au hammam pour se décrasser et un bon dodo pour récupérer ! (Enfin presque car Romane nous a réveillé plusieurs fois dans la nuit !)
Dans les ruelles de la médina de Chefchaouen
Voila, la boucle marocaine est bientôt bouclée. Après Tétouan, nous descendrons retrouver la mer et le port de Tanger Med pour poursuivre notre périple sur d’autres terres.