En France, lorsque nous regardions la carte du Maroc, j’avais lancé à Arnaud en pointant du doigt une zone du Haut-Atlas : « Ca doit être beau et sauvage par là ! »et à lui de me répondre : « Ben ça tu peux oublier, on n’ira jamais dans ce coin, c’est beaucoup trop dur, il y a des cols à plus de 2000 mètres et imagine, le Haut-Atlas c’est un peu comme les Alpes sauf qu’il n’y a pas beaucoup de villages pour se ravitailler ! »
Qu’est ce qui fait que nous y sommes aujourd’hui ? Est-ce l’envie de voir plus loin, d’être plus haut, de rencontrer encore plus ceux qui ne croisent jamais d’étrangers ? Est-ce le simple fait que le vélo nous donne cette incroyable sensation de liberté de pouvoir aller partout peu importe le temps que cela prendra ?
Toujours est-il que nous voici dans les montagnes, nous avons quitté la plaine à Kasba Tadla pour grimper ensuite un premier col durant 12 km, ce qui nous aura valu 2 heures d’effort continu. Mais lorsque nous découvrons toute l’enfilade de montagnes enneigées à l’horizon, la récompense est là, c’est majestueux !
Nous enchainons ensuite les nuits chez l’habitant. Il gèle et dormir sous la tente serait trop risqué par ses températures.
Un de ces soirs, vers 16 heures, alors que nous sommes déjà bien fatigués des multiples montées de la journée, nous décidons de ne pas poursuivre notre chemin car la route ne cesse de monter et le soleil va vite se coucher derrière les montagnes. Nous devons trouver où dormir. Nous faisons demi-tour pour retrouver les dernières maisons et demander à un habitant un endroit pour planter notre tente. Le dialogue se complique depuis que nous sommes dans les montagnes car le peuple berbère possède son propre langage. L’homme nous invite tout de suite à boire le thé. Les filles jouent à courir après les poules et les chats et puis, c’est la brebis, mécontente du dérangement occasionné près de ses petits, qui se met à courir après les filles !
Finalement, le chef de famille, Abdelkader, va couper du bois et allume le poêle dans une pièce vide. Les murs sont faits en torchis et le sol en terre battue. Sa fille d’une vingtaine d’année, Saadi, s’active pour y déposer une grande natte et quelques peaux de moutons et nous fait signe de nous assoir. Elle commence à peler les pommes de terre. Je lui propose de l’aider. Mais lorsque je sors l’éplucheur de nos bagages et lui démontre son efficacité, elle est toute hébétée et me tend son couteau en échange. Arnaud amuse ses petits frères en montrant des photos d’eux sur l’écran de notre appareil numérique et puis ces garçons découvrent les 2, 3 livres que Noémie leur prête. Ils tournent les pages à l’envers et certains tiennent même le livre la tête en bas. C’est pour eux la première fois. Les 2 plus grands doivent avoir 7 ou 8 ans. Ils passent leur journée à garder les moutons et les faire paître. Le matin, ce sont les premiers à avoir quitté la maison.
J’apprends à Saadi, qui veut recopier du français, qu’on écrit de gauche à droite et non de droite à gauche. On explique à Noémie que ces enfants ne peuvent pas aller à l’école car elle est trop loin.
Le tajine cuit lentement sur les braises, il est 22 heures lorsque nous mangeons encore vêtus de nos cuissards. Ils nous donnent quelques couvertures pour dormir sur les peaux de mouton. Nous n’aurons pas à planter la tente. Eux dorment tout habillés. Nous faisons de même. Au réveil, les enfants ont les mêmes fripes sur eux. Alors que nous voyageons pour 7 mois avec l’équivalent d’un sachet en plastique d’habits par personne, nous avons l’impression d’en avoir déjà dix fois plus qu’eux. Leur seul surplus semble être les couvertures que d’ailleurs, la mère aveugle me tend en faisant rouler ses trois doigts pour m’indiquer que je pourrais lui en acheter une. C’est vrai qu’elles sont belles ces couvertures berbères en laine de mouton, mais je lui explique que nous n’avons pas de place dans nos remorques et tout le monde rigole ! Nous quittons cette famille et le sourire de Saadi en leur disant « Choukhran bezef » (merci beaucoup).L’échange immatériel peut être plus fort. Au loin encore, la famille nous fait de grands signes et nous repartons encore une fois émus.
Là où nous sommes passés, les enfants qui accourent au bord des routes nous saluent simplement avec un grand sourire. Dans certains endroits touristiques, ils réclament un stylo ou de l’argent et préfèrent attendre le touriste qui donnera plutôt que d’aller à l’école. Les responsables touristiques agissent désormais pour éradiquer ce fléau.
Lentement mais sûrement nous franchissons le col à plus de 2400 mètres d’altitude. La pente étant parfois trop raide pour pouvoir continuer à appuyer sur les pédales. Noémie est alors fière de marcher à nos côtés et même de pousser la remorque. Romane s’impatiente et commence à pleurnicher. Il est déjà 13 heures, elle a faim. Nous la faisons patienter avec une pomme avant de trouver un endroit plat pour s’arrêter. Le paysage est de toute beauté. Très vite les filles oublient les tensions dues à la faim et la fatigue et se mettent à jouer avec la neige et les cailloux. Elles ont le visage et les mains couleurs locales, la peau tannée et asséchée par le soleil et recouverte de crasse. Une boîte de sardines et un reste de pain sec les satisferont jusqu’au prochain tajine !
Nous sommes maintenant à Imilchil, un paisible village à 2200 mètres balayé par le vent froid. Les habitants vaquent à leurs occupations dans une ambiance calme et sereine. Nous savourons le tajine près du poêle entourés d’hommes en djellaba. Nous y resterons deux jours le temps de laver du linge, se reposer un peu et de profiter de cet environnement en faisant de petites balades à pied ou sur le dos d'un âne.